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Rester debout
13 janvier 2012

Premier matin

Je viens de passer la pire nuit de toute mon existence.
L'angoisse m'a étreint à la tombée du jour pour ne plus me lâcher d'une semelle. Angoisse d'être seul, d'avoir oublié quelque chose, je ne sais quoi. Angoisse de ne pas y arriver, angoisse d'être en face de moi-même et de devoir répondre aux questions qui me hantent depuis toujours et auxquelles je n'ai jamais voulu répondre !
Et la pire de toutes les interrogations est venue en pleine milieu de cette nuit, au plein milieu de l'océan et au plein milieu de toutes les autres questions.

Qu'as-tu fait de ton talent ?

Je me suis assis dans le noir. Droit comme un i.
Sans doute l'air hébété, abruti par la froideur de la question, par ce qu'elle a de juste, de précis, de chirurgical, d'essentiel. Ne jamais se demander ce qu'on a fait de sa vie. Ne jamais douter. Ne jamais regarder en face l'horizon et se dire qu'on est capable de tirer l'océan comme une couverture qu'on remonte pour se cacher la tête et regarder ses pieds !

L'angoisse à ce moment-là a décuplé. L'image de la couverture m'a explosé à la figure. Si elle était juste ? S'il n'y avait que des pieds ?
Qu'as-tu fait de ton talent ?
Qu'as-tu fait de tes espérences ?
Qu'as-tu fait de tes rêves ?

C'est à cause de ça que j'ai largué les amarres, que j'ai tourné le dos à mon destin pour rejoindre mon avenir.
C'est aussi à ce moment-là de la nuit que j'ai croisé comme une apparition fantomatique un de ces énormes porte-containers, illuminé comme une ville entière, haut comme une montagne et rythmant la nuit des coups de piston du moteur, battement d'un cœur de fer qui propulse ce géant au travers des mers. 

Comme le monstre disparaissait au fond de l'horizon, dispersant une lueur dans la brume fraîche de la nuit, je me suis penché par dessus bord et j'ai vomi. Vomi toutes mes tripes, tout ce que j'avais sur l'estomac, rejété jusqu'au dernier repas à terre avec la famille, les amis, mon fils, ma femme, avant le départ. Renvoyé, disparu, il ne me reste plus rien qu'un vague souvenir d'un moment partagé, un peu triste, un peu comme si nous ne nous reverrions jamais sans bien nous l'avouer, en faisant comme si.
C'est ça, un peu de tristesse, cachée elle-aussi.

C'est fou ce qu'on passe comme temps à se cacher des choses simples à dire !

J'aurais du leur dire que j'étais triste de les quitter, que bien-sûr je pouvais disparaître au beau milieu de l'océan sans laisser le moindre signe, dire à celle qui partage ma vie depuis si longtemps que je regrette de lui donner encore une fois le rôle de celle qui attend, les yeux rivés sur la mer, debout sur la jetée du quotidien guettant le retour improbables des années qui passent et des espoirs partagés, dire à mon fils qu'il est sans doute la plus belle chose qui me soit jamais arrivée, que c'est à lui maintenant de prendre la barre et de mener sa barque, leur dire  eux tous que je les aime tellement...

C'est parce que je n'ai su dire tout ça avant de partir que je suis un peu triste, dans cette grande nuit noire, sans étoile, sans lueur, sans espoir au creux de mes angoisses, et que je vomis mes tripes !

Alors et alors seulement, les premières lueurs de l'aube sont apparues, mon angoisse a fondu dans la premlière lumière et je me suis endormi.

Petite nuit... 

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Commentaires
A
Le propre de l’homme (symbolique) est non seulement de rester debout, mais aussi d’avancer. Pour aller où ? Cela n’a pas d’importance, c’est le chemin qui compte.
Rester debout
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